C'est
la marque de la menaçante confusion de la communauté moderne
que de tenir cette expÈrience pour quelque
chose d'insignifiant qu'on peut écarter, et que de l'abandonner à
l'individu, qui en fait un délire mystique lors des belles
nuits étoilées. Non elle s'impose de nouveaux à chaque
époque, et les peuples et les races lui échappent bien peu,
comme on l'a vu, de la manière la plus terrifiante, lors de la dernière
guerre, qui fut une tentative pour célèbrer
de nouvelles noces, encore inouïes, avec les puissances cosmiques. Des
masses humaines, des gaz,
des forces électriques furent jetés en rase campagne. Des courants
de hautes fréquences traversèrent
le paysage, de nouveaux astres se levèrent dans le ciel, l'espace aèrien
et les profondeurs marines
résonnèrent du bruit des hélices, et partout on creusa
des fosses à sacrifice dans la
Terre Mère. Ces grandes fiançailles avec le cosmos s'accomplirent
pour la première fois à
l'échelle planétaire, c'est-à-dire dans l'esprit de la
technique. Mais comme la soif de profit de la
classe dominante, comptait expier sur elle son dessein, la technique a trahi
l'humanité
et a transformé la couche nuptiale en un bain de sang.
Walter Benjamin, Vers le PlanÈtarium, in Sens Unique, Édition 10/18.