Louise Hervé & Chloé Maillet

Louise Hervé et Chloé Maillet, nées en France en 1981, ont fondé l’I.I.I.I. (International Institute for Important Items), en 2001. Au travers de performances didactiques, de films de genre (film d’anticipations) et d’installations, elles se dédient à explorer le récit dans le récit et les potentiels de fiction dans le discours. Les frictions entre archéologie et science-fiction qu’elles sollicitent, engendrent des situations “loquaces” où le public est déplacé dans la relation linéaire que peut prendre une lecture littérale des objets qu’elles convoquent. Au travers de divers fragments rassemblés dans des temporalités propres aux performances et aux films de science-fiction, elles viennent nous interroger sur les fictions possibles que nous entretenons avec le réel et les champs de réflexion et d’interprétation que les sciences impulsent dans notre appréhension du quotidien.

Expositions : La caverne du dragon ou l’enfouissement, Galerie Marcelle Alix-Paris, 2010 ; L’homme le plus fort du monde, Palais de Tokyo-Musée d’Art Moderne-Paris, 2010 ; We do not live on the outside of the globe (past and future reconstruction), Croy Nielsen Gallery-Berlin, 2010.




Retranscription d'un dialogue entre Louise Hervé & Chloé Maillet,


et Nadia Barrientos & Guillaume Hervier



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Nadia
Louise et Chloé, merci tout d'abord d'avoir accepté notre invitation sur cet espace instable que permet Internet. Nous voilà réunis magiquement dans un même lieu, lieu intangible qu'on ne peut traverser qu'avec la voix et l'image, et qui nous autorise sur une durée que l'on s'accorde une parfaite ubiquité.
Tout d'abord, introduire l'objet de la virtualité de cette rencontre : À rebours de Principe d'incertitude, cette mise en exposition d'archives à laquelle nous vous avons invité à réfléchir par anticipation, nous nous interrogeons sur la logique du temps... Feint-il la ligne, le cercle, la spirale, le trou noir ou bien s'apparente-t-il à la béance marasmatique d'une tourbe ? Ne voulant point trop en dire sur les découvertes futures que nous serons amenés à éprouver ensemble et sur lesquelles nous ne présumons encore de rien, je vous laisse la parole autant que l?image; puisse leur conjugaison autant que leurs divers recoupements pallier à ce qui s'avère aujourd'hui n'être que de mystérieuses prémonitions !
Je vous laisse la parole et l'image :


Louise & Chloé
Le point de départ de nos questions était ce livre : L'Homme à l'oreille cassée. J'espère que vous m'entendez bien !
L'Homme à l'oreille cassée est un livre écrit par Edmond About, un académicien d'origine Lorraine, et qui relate de manière assez étonnante l'histoire d'une lyophilisation humaine. Une méthode de conservation qui nous a amené à réfléchir aux diverses techniques qui peuvent être employées pour conserver aussi bien des objets inanimés, que des objets animés. Les animaux et les êtres humains.
Dans ce roman, l'histoire est celle d'un colonel condamné à mort pendant la campagne de Russie sous le Premier Empire, qui se trouve semi-congelé dans une prison malfamée de Russie. Et cet état de semi-congélation (il est dans une torpeur proche de la mort) donne l'idée à un de ses amis scientifiques d'expérimenter... et bien la lyophilisation humaine. La lyophilisation, je le rappelle, est un procédé qui se fait par étapes en commençant par une congélation puis en extrayant toute la partie aqueuse du corps, sans passage par l'état liquide. Et le processus se termine enfin par une dernière phase de séchage qui complète l'élaboration. Ce qui est important c'est que l'eau est extraite du produit à lyophiliser par sublimation.
(...) Aujourd'hui, ce procédé est davantage utilisé sur les éléments alimentaires, comme cet exemple de lait : voici du lait qui a été congelé et dont l'eau a été extraite par sublimation. Ce qu'il faut savoir c'est que pour le lait et le café, la lyophilisation marche beaucoup mieux en fait sur des produits qui peuvent être réduits en purée ou en éléments très petits. En fait, l'efficacité de la lyophilisation dépend du rapport entre masse et volume de l'élément et d'une bonne évaporation entre guillemets, ce qui explique que l'on lyophilise en général de tout petits morceaux de légumes et de fruits par exemple...
Il y a un autre point intéressant dans le livre, pour revenir à Edmond About. Le scientifique est inspiré, dans son processus de lyophilisation du colonel, par un animal, un tout petit animal qui s'appelle l'anguillule. L'nguillule est en fait un vers, un nématode... ça a une forme de toute petite anguille... qui vit en général dans des milieux assez humides... et c'est parasite... L'anguillule du blé niellé est l'auteur d'une parasitose chez l'homme... Voici un exemple de grains de blé susceptibles d'être parasités par l'anguillule, mais il n'y en a pas sur ce blé-là...
Revenons sur l'anguillule, ce vers d'un millimètre de long. Sa particularité est que l'anguillule est capable de rester vingt ans desséchée dans des conditions justement d'humidité minimale, telle une grande sécheresse puis de se réhydrater au contact de l'eau, et de reprendre ses conditions normales d'existence...
Voilà, si vous avez des questions sur cette première partie...


Guillaume
Pour ma part, non je n'en ai pas. J'entends Chloé, par contre, Louise je t'entends assez distante. Si je pouvais juste avoir un peu plus de son, ce serait mieux pour l'enregistrement.


Louise & Chloé
Et là ça va... AHHHH... Et là...


Guillaume Là c'est un peu mieux... Mais tant pis je vais faire avec, je ne sais pas Nadia, toi tu entends ?


Nadia
J?entends, enfin... j'arrive à décrypter, mais, oui le son est assez mauvais.


Guillaume
C'est presque cocasse d'en arriver juste à décrypter votre présentation !

Nadia
Oui, oui, je trouve que c'est intéressant...

Guillaume
Oui.

Louise & Chloé
Je viens de tester un autre micro mais j'ai l'impression que...

Nadia
On n'entend pas bien du tout... Non.

Guillaume
En tout cas toi, Nadia, tu avais peut-être une première question sur cette première partie portant sur la lyophilisation ?

Nadia
Là, je n'ai pas de questions qui me viennent à l'esprit...

Guillaume
D'accord. Donc je pense que vous pouvez continuer.

Louise & Chloé
(...) Autour du marais du Montfort... le milieu n'est pas acide mais plutôt alcalin (mais j'y reviendrai) : il pourrait poser des problèmes compte tenu de la conservation. Et peut-être qu?une deuxième possibilité qui est intéressante, c'est juste une parenthèse, mais il faut savoir que les indiens des Andes, donc à tràs haute altitude, avaient une méthode rudimentaire de lyophilisation... Je ne sais pas si vous en avez entendu parler ?

Nadia
Non...

Louise & Chloé
En fait, c'était pour la pomme de terre, il s'avère que les indiens faisaient geler leurs pommes de terre, rapidement, en un certain nombre d'heures... Puis il les mettaient au soleil qui est assez fort sur les Andes et vues les conditions de pression en haute altitude... Les conditions donc en haute altitude permettaient une forme de lyophilisation en surface de la pomme de terre par l'air très sec et très froid de la montagne. Donc je pense que les conditions autour de Grenoble finalement dans les hauteurs pourraient permettre une forme de lyophilisation...

Nadia
Oui, oui, Grenoble a un microclimat qui s'apparente beaucoup à celui des Andes... Je confirme.



Guillaume
On ne vous entend plus.

Louise & Chloé
Nous ne parlions pas.

Nadia
L'image est mystérieuse en tout cas.

Louise & Chloé
Donc, voilà, c'est en fait une illustration d'Odilon Redon, le fameux peintre symboliste qui a illustré les histoires de Poe. D'Edgar Allan Poe, voilà, des Histoires extraordinaires... En faisant des recherches un peu plus approfondies on a trouvé un exemple vraiment irréfutable de cette deuxième méthode de conservation qui est assez intéressant. Et donc, il y a dans une nouvelle de Poe qui est publiée dans un volume des Histoires extraordinaires, (qui a également été traduite par Baudelaire) qui raconte le cas d'un homme tuberculeux, à l'article de la mort, et qui décide de se faire hypnotiser juste avant de mourir.
...Et ce qui se passe en fait c'est que l'homme meurt sous hypnose et vit sa mort sous hypnose et son corps rigidifié est encore capable de réagir à l'hypnose après la mort. Il est maintenu dans cet état pendant plusieurs mois et on se rend compte que c'est véritablement l'hypnose qui le maintenait et le conservait puisqu'au moment où l'hypnotiseur décide de le réveiller quelques jours, quelques semaines plus tard, et bien pendant le réveil, il a la grande surprise de voir l'homme se liquéfier devant lui totalement et d'avoir une bouillie presque liquide étalée à l'endroit où se trouvait le corps quelques minutes avant... C'est le cas de Monsieur Valdemar... C'est une expérience intéressante...
L'hypnose maintient le corps dans une espèce de stase.. pendant une durée qui est assez longue... pendant des mois même... le corps reste stable pendant plusieurs mois et donc il y a une conservation par le biais de l'hypnose et qui est assez claire dans la nouvelle de Poe.
Il y a peut-être une perspective un peu différente mais qui est aussi intéressante, c'est cet exemple, que nous avions déjà mentionné, puisque le problème qui se pose dans la nouvelle de Poe, je ne sais pas si vous m'entendez bien, c'est la réanimation (...) Bellamy donc, un petit peu plus tardivement, dans un livre publié en 1888 intitulé Looking Backward, prend le même présupposé de départ : l'hypnose. Donc, c'est l'histoire d'un homme, qui toutes les nuits pour arriver à dormir, est hypnotisé, et tous les matins se fait réveiller. C'est la seule manière qu'il a trouvée pour soigner ses insomnies, et comme il est très sensible à tous les bruits extérieurs, il se fait endormir systématiquement dans une cave... extrêmement solide avec une porte en amiante doublée en fer... souterraine, et il dort dans un sommeil artificiel et hypnotique... Or, suite à des circonstances mystérieuses... personne ne le réveille un matin, et il reste dans sa cave pendant cent ans. Il se réveille donc dans le futur... Et dans le futur, en l'an 2000, tout a changé. La société s'est profondément transformée suite à la période de crise qui date justement de la période où le narrateur s'est endormi... une crise liée à la question sociale et à la lutte des classes mais qui se trouve résolue par le biais d'un service apparenté à un service militaire mais qui est un service de travail, c'est-à-dire que l?ensemble des habitants des États-Unis, le reste du monde n'est pas vraiment évoqué (par Bellamy dans ce livre). Ces derniers sont soumis à un service de travail obligatoire pendant 25 ans contrôlé par l'état... un état centralisateur et puissant qui est en fait une sorte de trust, un trust généralisé qui prendrait toutes les fonctions, qui prendrait en charge le corps social dans son ensemble avec ce travail exigé de la part de tous les hommes et les femmes... C'est un peu l'hypothèse d'Edward Bellamy dans cette fiction sociale très troublante où ce jeune homme, né en 1860, s'est juste retrouvé déplacé dans le temps, ce qui est bien sûr idéologique.



Alors je noterais simplement pour ajouter un argument à cette technique de conservation par l'hypnose qu'elle est parfois utilisée pour les voyages spatiaux, alors ça peut être une technique assez intéressante de réduction du temps de voyage dans le cas de voyage spatial, je pense en particulier à Gustave Le Rouge, avec Le Prisonnier de la planète Mars, ouvrage dans lequel le protagoniste fait appel à un mage hindou pour le faire rentrer en catalepsie, ce qui lui permet de résister aux encombres rencontrées lors du voyage entre la Terre et Mars.
Alors, voilà c'est assez rapide, bien évidemment on balaye peut-être des choses qui mériteraient d'être exposées plus longuement. Nous voulions spécialement revenir sur quelques hypothèses et sur ce qui serait le plus efficace en terme de méthode de conservation. Peut-être des questions sur cette deuxième partie autour de l'hypnose et de la conservation ?

Nadia
Alors vous m'entendez ?

Louise & Chloé
Oui.

Nadia
Je m'entends bizarrement, il y a beaucoup de saturation, vous m'entendez bien, oui ? Bon, juste une petite question en fait, par rapport à l'anticipation et par rapport au temps. Nous nous intéressons beaucoup à l'anticipation et justement à toute cette prémonition que l'on peut en amont, porter sur un avenir et voir si justement la prémonition finalement n?a pas, quelque part, une valeur performative. Je souhaiterais renverser cette question en vous demandant si on ne peut pas agir rétroactivement, c'est-à-dire est-ce qu'on ne peut pas imaginer, pourquoi pas, un voyage dans le temps passé et une conservation à rebours un peu comme si le présent influait sur le passé... L'on constate bien que le passé change constamment à mesure que le temps passe et notre passé n'est pas le même que celui de Martial ou de Périclès, et donc c'est vrai que le passé est un terrain qui éprouve énormément de changements et d'influences du présent et voir même du futur... Voilà c'était une question qui me venait...



Louise & Chloé
Je prends pour exemple le colonel, dans L'Homme à l'oreille cassée. Et bien pour lui, comme il est inconscient du passage du temps, il fait un voyage dans le futur ; ceux qui assistent à la résurrection du colonel, et bien eux font un voyage dans le passé d'une certaine façon puisqu'ils ont un exemple parfaitement bien conservé d'un homme qui date de 60 ans auparavant et dont ils peuvent observer les moindres gestes etc. Donc, quelque part, le problème est réversible de ce point de vue-là.
Cette même mécanique est à l?œuvre dans la fiction de Bellamy. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si le titre est : Looking Backward. Du point de vue du narrateur on est dans le futur mais par contre, ceux qui l'accueillent, ces hôtes professeurs et sa fille dans le futur en l'an 2000, regardent en arrière, ils regardent en arrière avec étonnement cet homme qui ne comprend pas pourtant que la solution à tous les problàmes du passé est très simple. La mécanique est donc réversible.
Ce qui pourrait m'amener, par une transition assez pratique, à ce troisième exemple de conservation : vous voyez ici une main conservée par cette technique, vous remarquerez à quel point les tissus mous sont extrêmement bien conservés... On a l'impression qu'on pourrait les toucher, qu'ils sont encore moelleux presque comme les tissus vivants. Si on la compare, par exemple, avec ma main qui est vivante, les différences sont assez minimes. Et bien cette main, c'est une main qui date en fait de l'âge du bronze, voilà, et qui a été conservée dans une tourbière en milieu acide... Le seul défaut qu'on voit, si on compare avec ma main à moi, c'est qu'effectivement, la peau que j'ai est bien remplie de l'intérieur, celle-là a l'air comme vidée, et c'est parce que les tissus durs, en fait les os, tous les matériaux durs, se sont dissous alors que les tissus mous, la peau et les ongles, eux gardent leur primeur.
Donc c'est finalement intéressant ce qui nous fait voyager dans le passé, puisque ça nous amène à regarder de près les images mêmes de ces hommes de l'âge de bronze. L'exercice favori des amateurs des hommes des tourbières, c'est d'en reconstituer les visages de façon à se projeter dans le paysage typique des gens de cette époque-là. On peut faire des reconstitutions. Pourtant, quand on prend un exemple d'une reconstitution de cette époque-là, l'effet de réel est moins saisissant. Même si ce qui est étonnant c'est le fait de pouvoir lire encore sur ces visages de près les détails, jusqu'aux empreintes digitales sur les mains et ce, simplement parce que ces tissus ont été préservés par ce type de conservation, immergés dans une tourbière qui se situe au Danemark... L'ouvrage dont les images sont tirées, ont été prises par un danois, ce qui explique que la plupart des sites et provenances se situent dans cette région. Je ne sais pas si vous voyez un petit peu la carte... C'est une carte qui nous montre les sites des plus fameuses découvertes de ces hommes et femmes des tourbières.
Ce qui est intéressant avec ce type de conservation, bien sûr ce n'est pas volontaire de la part des personnes qui ont jeté les hommes dans les tourbières: mais parfois, les gens y étaient immergés après leur mise à mort... On reconnaît que certains avaient été étranglés car ils avaient encore une corde au cou, mais parfois ils y étaient enterrés vivants, ce qui facilite (merveilleuse ironie) la conservation, c'est notamment le cas de cette femme (les femmes étaient jetées vivantes dans les tourbières). Qu'est-ce qu'il y a d'autre... Tout ça est lié aussi bien sûr aux lois des barbares... comme le montrait Modzelewski.
Ce qui explique ces sacrifices, non seulement les sacrifices mais aussi une sorte de châtiment, en particulier pour les femmes, qui punisse la mauvaise vie, l'adultère... Le système est assez intéressant car elles n'étaient pas plongées dans la tourbe comme on pourrait l'imaginer aujourd'hui avec une corde autour du cou, non : elles étaient placées dans la tourbe avec un système de branches posées au-dessus qui maintenaient leur corps sous la surface de la tourbière... Et bien sûr, l'anecdote caractéristique de toutes ces découvertes, c'était que ces corps étaient si bien conservés par le milieu acide dans ce contexte précis des tourbières du Danemark, du nord de l'Allemagne (etc.) que régulièrement, ceux qui creusaient la tourbe pour s'en servir comme combustible de chauffage faisaient appel à la police locale, croyant qu'il s'agissait d'un fait divers, d'un meurtre commis récemment. Effectivement, c'est un assez bel exemple, ce qui nous amènera je pense pour la suite à tenter d'imaginer après le processus de conservation, quelles sont les différentes méthodes de réanimation... Ce dernier volet sur lequel on ne va pas revenir complètement aujourd'hui mais qui est notre dernier objet de réflexion... donc décongélation, réhydratation, etc. sont les étapes nécessaires au projet de conservation que nous allons mettre en œuvre...
Voilà, avez-vous des questions sur ce dernier volet ?

Guillaume
J'en aurais une, en fait, sur les cartes postales que vous nous présentez ; je les vois assez mal et j'aurais voulu juste que vous me définissiez éventuellement ce que sont ces objets. Je ne vous entends plus.

Nadia
Guillaume, juste un aparté technique : l'image est figée, je ne sais pas si c'est le cas pour toi, mais pour moi l'image est figée depuis un long moment.

Guillaume
Oui, j'ai également l'impression que nous avons perdu la connexion avec Chloé et Louise. Si vous nous entendez, je vais devoir raccrocher et vous rappeler ; à tout de suite...

Louise et Chloé
"Ceci est une image que nous avons ramenée du musée de Reims. Il s'agit d'une reconstitution d'une hutte de la fin du néolithique ; il y a un assez bel ensemble de maquettes. Le musée a été réaménagé il y a sept ans et donc, pour chaque période il y a un bel ensemble de maquettes. Alors encore plus loin, pour vous donner un dernier exemple qui est assez intéressant, c'est la carte que voilà."

Nadia
Ah, c'est magnifique...

Louise et Chloé
Il s'agit d'une peinture qui reconstitue une scène d'enlèvement à l'âge du bronze.

Nadia
Alors là, j'ai une question à vous poser. Est-ce que vous m'entendez ? Oui ! J'aurais une question par rapport aux méthodes pratiquées par l'archéologie. Ce qui est assez merveilleux c'est qu'à partir d'un fragment parfois infime, il suffit parfois d'un seul tesson, l'on arrive à refaire le vase entier, voire à le reconstituer (reconstitutions d'une civilisation parfois très abracadabrantes, qui changent selon les époques bien sûr) comme si le fragment finalement portait la bouture du tout, de l'ensemble. Comme si à partir de cette seule miette l'on pouvait en dégager l'essence. Voilà quelque chose qui nous intéresse : le fait qu'une seule partie puisse définir, contenir le tout, qu'elle canalise en quelque sorte notre projection sur une société, à un moment donné.

Louise et Chloé
Dans les expéditions scientifiques par exemple, à partir d'un objet de départ, un objet d'archéologie, la reconstitution qui se met en place permet au spectateur de se créer une image mentale de l'objet. Quelque chose à partir d'éléments infimes, cela peut être autant des mannequins, des plans que des éléments graphiques, des dispositifs à ouvrir... C'est quelque chose dans les musées archéologiques (...) où la construction mentale est très importante. Je ne sais si vous avez vu le musée archéologique de Lyon ?

Guillaume
Non.

Louise et Chloé
(...) Juste à côté il y a un grand amphithéâtre romain. Il y a un plan sur le mur qui montre les différents états de l'amphithéâtre à divers moments de son histoire. Et puis, à côté, il y a des fragments, des (...), des inscriptions (...), et puis une fenêtre ouverte sur les ruines.

Guillaume
Moi, j'avais une question, j'aurais voulu savoir au sujet des hommes des tourbières : a-t-on retrouvé, dans des tourbières à Ph neutre, quelques éléments archéologiques. Avez-vous exploré ces pistes dans vos recherches ?

Louise et Chloé
Pour répondre à ta question, nous souhaiterions te montrer un exemple dans ce livre : là, ce sont des ex-voto gallo-romains qui ont été retrouvés juste à côté de Clermont-Ferrand, à Chamalières et là-bas, cette tourbière était assez acide et elle a permis, simplement par l'humidité en fait, de conserver ces (...) et tous ces ex-voto. Là, vous voyez, ce sont des jambes en bois qu'on jetait dans la rivière pour prévenir des maladies des jambes.

Guillaume Justement, à ce titre, j'avais vu l'une de vos performances à Clermont-Ferrand et vous aviez travaillé en étroite collaboration avec le Musée d'archéologie de Clermont-Ferrand, c'est bien cela ?

Louise et Chloé
Il possède en effet une grande sélection d'ex-voto gallo- romains comme il en existe peu en France.

Nadia
Juste une question : s'il nous venait l'idée fantasque d'aller aujourd'hui dans une tourbière et d'y immerger un objet quelque qu'il soit (bois, carton, métal...), la possibilité de conservation de ce dernier serait inouîe, n'est-ce pas ?

Louise et Chloé
A priori, effectivement. L'idéal serait de faire l'expérience aujourd'hui et comme il est narré dans l'ouvrage L'Homme à l'oreille cassée, de pouvoir laisser un testament qui permette à des gens dans 500 ou 700 ans de retrouver l'objet en question pour voir comment il a été conservé.

Nadia
Cette méthode fait concurrence à la cryogénisation qui reste coûteuse ; la première pourrait émoustiller un public assez large puisqu'elle ne demande pas beaucoup de moyens. C'est une méthode qui est appelée à avoir une franche fortune dans l'avenir.

Louise et Chloé
Toute la question est celle de la réanimation. Bizarrement, on pense aujourd'hui que la réanimation sera peut-être un jour possible dans le cas de la cryogénisation, mais cela n'a jamais été prouvé ; on n'a jamais réussi à réanimer des organismes complexes par décongélation. Il y a certains organismes plus simples, certains saumons pêchés dans les rivières d'eau froide, que l'on congèle au moment où on les pêche et qui peuvent être réanimés ensuite. Cela reste un exemple assez particulier. Sur des organismes plus complexes, cela n'a jamais encore été prouvé. En ce qui concerne la tourbe plus précisément, on n'a fait aucune tentative de réanimation pour les hommes des tourbières ; c'est d'ailleurs très étonnant qu'on n'ait pas pensé qu'ils pouvaient être réanimables. Je tiens tout de même à vous rappeler la méthode de conservation par hypnose que l'on n'a jamais vraiment expérimentée. On se demandait avec Louise si ce n'était pas le moment pour l'expérimenter.

Guillaume
Pensez-vous que ces expériences au travers de l'hypnose pourraient permettre une conservation des cellules ? Que pressentez-vous sur ces prochaines expérimentations que vous serez peut-être amenées à perpétrer à l'avenir ?

Louise et Chloé
Poe, dans l'Étrange cas de Monsieur Valdemar, est obsédé par l'idée d'être enterré vivant, cette idée d'être mort sans être mort. En revanche, il est vrai que Looking Backwards donne à penser que cette singulière méthode de conservation aurait un réel avenir.
En fait, il y a deux hypothèses : la première étant l'hypnose telle qu'entendue dans la tradition de Mesmer, liée à un magnétisme animal ; la deuxième entendant l'hypnose sous le prisme du sommeil paradoxal qui demande aussi à avoir un état inconscient. C'est quelque chose qui peut être aujourd'hui expérimenté : c'est le cas des voyages spatiaux extrêmement évolués pour lesquels on imagine endormir les gens, les laisser dans un état de semi-hypnose, pour qu'ils puissent passer des voyages sans encombres. Mais il n'y a jamais eu d'expériences où on laissait dormir les gens pendant très longtemps, pendant des années, pour savoir si effectivement ils vieillissent moins vite.

Guillaume
Merci. Nadia, voulais-tu rajouter quelque chose sur l'hypnose ?

Nadia
Non, juste dire que les moyens qu'aujourd'hui la recherche possède ne permettent peut-être pas la réanimation mais il nous est tout de même impératif d'œuvrer à la conservation de tout ce qui loge dans notre mémoire, de tout ce que l'on souhaiterait transmettre aux générations futures ; et même si nous ne sommes plus là, dans un avenir incertain, œuvrer pour une telle entreprise est fort louable. Je suis persuadée que nous y œuvrons.

Guillaume
Pour finir, vous remercier pour cette magnifique présentation. J'ai été très touché par tous les filages que vous avez eus au travers des différentes techniques de conservation. Préciser également que j'ai beaucoup apprécié ce qui s'est passé durant ce Skype meeting (le son étant presque inaudible, la retranscription va être très pénible). Nous allons devoir travailler sous le prisme de fragments lors de cette dernière. Éventuellement vous proposer, après la retranscription, d'en reconstituer certaines réponses ou certaines ellipses dues aux problèmes techniques de ce format d'entretien.

Louise et Chloé
Oui, on pourra se permettre un peu de reconstitution... (Rires)

Nadia
C'était finalement très heureux, il y avait des moments où je n'entendais pas beaucoup, des mots qui m'échappaient mais cela convient parfaitement à cette tentative que nous avions, enfin cela s'y inscrit d'une façon troublante, presque prémonitoire. Je vous remercie beaucoup également en espérant qu'on pourra s'entendre de manière plus audible la prochaine fois.

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